Extrait :
Enfin, pour conclusion de cette morale, je m’avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu’ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure ; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c’est-à-dire que d’employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m’avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m’étais prescrite. J’avais éprouvé de si extrêmes contentements depuis que j’avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu’on en pût recevoir de plus doux ni de plus innocents en cette vie ; et découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités qui me semblaient assez importantes et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j’en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me touchait point. Outre que les trois maximes précédentes n’étaient fondées que sur le dessein que j’avais de continuer à m’instruire : car Dieu nous ayant donné à chacun quelque lumière pour discerner le vrai d’avec le faux, je n’eusse pas cru me devoir contenter des opinions d’autrui un seul moment, si je ne me fusse proposé d’employer mon propre jugement à les examiner lorsqu’il serait temps ; et je n’eusse su m’exempter de scrupule en les suivant, si je n’eusse espéré de ne perdre pour cela aucune occasion d’en trouver de meilleures en cas qu’il y en eût ; et enfin, je n’eusse su borner mes désirs ni être content, si je n’eusse suivi un chemin par lequel, pensant être assuré de l’acquisition de toutes les connaissances dont je serais capable, je le pensais être par même moyen de celle de tous les vrais biens qui seraient jamais en mon pouvoir ; d’autant que, notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose que selon que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu’on puisse pour faire aussi tout son mieux, c’est-à-dire pour acquérir toutes les vertus, et ensemble tous les autres biens qu’on puisse acquérir ; et lorsqu’on est certain que cela est, on ne saurait manquer d’être content.
DESCARTES, Discours de la méthode, Gallimard, collection Tel, Paris, 2009, p. 99-100.
Questions :
1. Est-ce bien une nouvelle maxime qui se trouve énoncée dans cet extrait ?
2. En vous appuyant sur la première partie du Discours de la méthode, montrez que Descartes ne fait que répondre à la demande de son ami Guez de Balzac de faire "l’Histoire de son esprit".
3. N'est-ce que de la fausse modestie ? Pourquoi Descartes ne se donne-t-il pas en exemple ?
4. Expliquez : "D'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer, autant que je pourrais, en la connaissance de la vérité".
5. Observez cette affirmation : "J’avais éprouvé de si extrêmes contentements depuis que j’avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu’on en pût recevoir de plus doux ni de plus innocents en cette vie".
a) Qu'apporte à la thèse ici énoncée sa formulation autobiographique ?
b) Qu'est-ce qu'un contentement "extrême" ?
c) Pourtant, l'auteur dit à leur sujet, ensuite : "je ne croyais pas qu’on en pût recevoir de plus doux ni de plus innocents en cette vie". Comment articulez-vous l'intensité du début de cette phrase avec la douceur de sa seconde partie ?
6. La morale par provision n'est-elle, d'après cet extrait, qu'une morale réservée à ceux qui cherchent la vérité ? N'est-elle qu'une morale pour savant et scientifique ?
a) Quel lien entretient-elle avec la recherche de la vérité ?
b) En quoi a-t-elle une portée universelle ? Pourquoi peut-on dire que tout homme se trouve dans la position décrite par Descartes ?
7. Expliquez : "Il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu'on puisse pour faire aussi tout son mieux".
a) Que pensez-vous de l'expression "il suffit de" ? Est-il, dès lors, simple de bien nous conduire ?
b) Analysez et expliquez la relation entre "jugement" et "conduite".
c) Est-ce la même chose de "bien juger", et "de juger le mieux qu'on [peut]" ? Que pouvez-vous en conclure ?
8. Qu'est-ce que le contentement, qu'est-ce qu'être "content" ? Pourquoi la morale par provision permet-elle le contentement, en dépit de l'incertitude dans laquelle nous sommes ?
9. Le bonheur, dès lors, n'est-il qu'une affaire de chance ?
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